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Masterclass JOKKO 2025 : le parcours client au cœur des métiers du numérique au Sénégal

Organisée FORCE-N, la Masterclass JOKKO du 22 novembre 2025 au Cinéma Pathé a rassemblé plus d’une centaine de jeunes autour de Moustapha Mbodj, consultant senior en UX/CX. Pendant plus de deux heures, il a partagé ses clés pour construire une carrière durable dans le parcours client et a invité les participants à devenir de véritables “chasseurs de frustrations”, capables de transformer chaque expérience en opportunité.

Ce matin de novembre, plus d’une centaine de jeunes s'installe dans les fauteuils rouges du cinéma Pathé. Pas de pop-corn, pas de film. Un homme, Moustapha Mbodj, monte sur scène, se plante devant eux et ne dit rien. Le silence s'installe. Quelques regards s'échangent dans la salle. Puis M. Mbodj regarde son chronomètre. "C'est fait exprès. J'ai attendu huit secondes exactement." Il sourit. "Huit secondes, c'est le temps que les internautes sénégalais vous accordent pour quitter votre application si ça ne marche pas. Huit secondes, c'est un peu moins que la mémoire d'un poisson rouge."

La salle est déjà captée. Le consultant en expérience client vient de faire sa démonstration. Huit secondes de silence ont suffi pour créer de l'inconfort. Huit secondes sur un site qui rame, et c'est fini, l'utilisateur est parti. "Ce n'est pas une question de technologie quand je parle d'abandon d'application. C'est une question de frustration." Moustapha Mbodj, est consultant analyste en UX/CX. Il a fondé deux agences : M2 Digital Lab à Paris et Africa Blue Interaction à Dakar. L’expérience client, il connait. Pour illustrer ses propos, il prend un exemple que tout le monde connaît : le tailleur sénégalais. Il se tourne vers les femmes de l'assemblée. Qui n'a jamais choisi un modèle sur Instagram pour ensuite avoir des frustrations avec son tailleur ? Les réponses viennent : ils ne respectent pas les délais, ils ne donnent pas d'importance aux clients, ils ne travaillent que sous pression. "Naturellement, quand vous allez chez le tailleur, vous lui donnez un délai qui n'est même pas le vôtre. Vous avez besoin de votre tenue le 10, vous lui dites le 7." Pourquoi ? Parce qu'on anticipe déjà : coupure d'électricité, machine en panne, apprenti absent, tissu introuvable. C'est parlant dans nos cultures, dit Mbodj, de ce que symbolise la frustration du client vis-à-vis de l'entreprise.

Filant la métaphore, il distingue l'UX du CX. L'UX avec le tailleur, c'est la tenue, la couture, les broderies, les accessoires. Le CX, c'est l'expérience de la relation : l'accueil, les délais, l'appel quand c'est prêt, le thé qu'on propose, le miroir pour l'essayage. "Vous pouvez avoir la plus belle tenue du quartier. Mais si elle arrive le lendemain de la Tabaski, qu'est-ce qu'elle symbolise pour vous ? De la frustration, de l'amertume." Le parallèle se transpose au numérique. Une fintech locale a une belle application, des boutons bien visibles, plusieurs langues disponibles. Mais un client envoie 50 000 francs, ne reçoit ni SMS ni mail de confirmation. Son frère n'a rien reçu non plus. Il essaie d'appeler le service client via WhatsApp. Pas de réponse. Résultat : avis négatif, application désinstallée. "Techniquement, tout s'est bien passé. Mais à partir du moment où j'ai envoyé, blackout. Je n'ai plus de visibilité sur où se trouve mon argent." Autre exemple, les boutiques dakaroises. "Ici au Sénégal, la plupart du temps quand on rentre dans les boutiques, ce n’est pas le client qui est roi, mais le vendeur. On a tendance à se dire : si tu veux, tu achètes. Si tu ne veux pas, ce n'est pas la peine." Il raconte l'histoire d'un ami qui a commandé un Allô Dakar, ces taxis interurbains, à 11h du matin pour partir à 15h. À 14h45, le chauffeur appelle : finalement, je ne pourrai pas, voici le numéro d'un collègue. Le collègue dit 15h30. À 16h, toujours personne. Quand on l'appelle, il répond : "Si tu es pressé, tu peux partir." 

"On en arrive à cette situation-là. On a aucune notion de ce qu'est l'expérience et quelles sont les répercussions dans le parcours du client. Pour eux aujourd'hui, il y a une forte demande, donc je fais comme je le sens." Mais Mbodj rappelle que de grosses entreprises ont fermé pour ça. Netscape, MSN… "À l'époque, je n'aurais jamais imaginé que Netscape allait disparaître. Aujourd'hui, pour vous, c'est inimaginable que Google puisse disparaître. On ne sait pas." Si Google dépense énormément d'argent pour sublimer l'expérience, c'est parce que la clientèle est volatile. Au Sénégal, tout le monde vend en live sur TikTok. Mais combien ont un plan de développement sur trois, quatre, cinq ans ? "La plupart se disent : j'ai un bon coup à jouer, c'est la fête, j'ai du stock, je vais le vendre. Mais est-ce que je me vois refaire la même opération dans six mois ? Ce n'est pas grave, dans six mois on verra." Erreur, dit Mbodj. "Dans six mois, ce que vous devez faire, vous devez le préparer dès maintenant. Il faut que vous réussissiez à garder l'expérience que vous avez nouée avec votre clientèle."

La "Data Teranga", Mbodj appelle ça. Transformer l'hospitalité sénégalaise en parcours client optimisé. Wave, selon lui, maîtrise parfaitement ces données. La plateforme sait combien vous gagnez par mois grâce aux flux entrants, où vous habitez et travaillez grâce à vos trajets Yango quotidiens, où vous mangez le midi grâce aux paiements QR code. "Si je vois que depuis deux jours Adama ne flashe plus chez Jollof Chicken, je peux lui envoyer une relance : moins 10 % si tu commandes avant 13h. Ce n'est pas du spam, c'est de l'assistance." Dans son mini-guide partagé via QR code, il détaille sa méthode : observer, découvrir, analyser, proposer. Trois piliers pour devenir chasseur de frustration. L'empathie d'abord, celle qui permet d'aller au marché Sandaga observer comment une personne qui n'a pas été à l'école utilise son smartphone. L'analyse ensuite, pour faire parler les chiffres et démontrer que "un plus un peut faire trois si on sait argumenter." Le design système enfin, pour que tout charge même en 3G. 

Loïs Kreman, la modératrice, insiste : "Le Sénégal a vraiment besoin de vous. L'Afrique attend le réveil de sa jeunesse." Elle parle du syndrome de l'imposteur que beaucoup portent. Mbodj l'a vécu en France : "Est-ce que j'ai la capacité, moi en tant qu'Africain, d'être à temps plein sur un projet international ?" Son parcours ? Ingénieur chez Engie, il a travaillé sur les compteurs Linky. Pas juste pour faciliter les relevés, mais pour comprendre comment les Français consomment l'énergie, anticiper les pics de chauffage en hiver, éviter les délestages. Puis le Covid est arrivé. En une semaine, il a dû repenser un site e-commerce en Guyane pour intégrer confinements, autorisations de sortie, drives. "C'était vraiment très challengeant. En une semaine, c'était une nouvelle façon de vivre qu'on ne connaissait pas." Aujourd'hui, il veut voir les mêmes réflexes au Sénégal. Créer son entreprise en quinze minutes en ligne, pas en quinze jours. Aller voir les administrations ou entreprises avec des solutions concrètes sans attendre les offres d'emploi. "Vous observez un parcours, vous dites : moi je vois que ce parcours-là, il y a quelque chose qui ne va pas. J'ai réfléchi, voici la solution, voici le retour sur investissement."

Son message final tient en quelques mots : "Au Sénégal et en Afrique, on n'a pas un problème de compétence. La compétence est là. Le problème parfois, c'est le syndrome de l'imposteur. Il faudrait que ça disparaisse. Vous avez la capacité d'aller très loin." Dans quelques semaines, FORCE-N organisera un nouveau JOKKO. D'ici là, peut-être qu'un de ces alumni aura lancé sa boîte ou convaincu une administration de repenser son parcours. Huit secondes de silence pour ouvrir une conférence, huit secondes d'attente pour perdre un client. Le message est passé.

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